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CC PARIS-CHARTRES-PARIS


Mercredi 23 février 2022

« Il est six heures au clocher de l’église, dans le square les fleurs poétisent » (1) et je sors de chez le Comptable. Les affaires de « ma petite entreprise » (2) ne sont pas bonnes et contrairement à la chanson de Bashung, « ma petite entreprise connait la crise » et ne sera peut-être bientôt plus en mesure « d’exhiber des trésors satinés » (2)... Au Kremlin, Vladimir P. hausse le ton et profère ses menaces.


Au volant de la 4L Chilkoot, sur la route d’un dernier rendez-vous, c’est Laurent P. qui m’appelle. « Qu’est-ce que tu fais ce week-end car j’ai une proposition malhonnête à te faire. Est-ce que cela te dirait de partager samedi le Classics Challenge Paris-Chartres ? »


Participer à un « CC » de l’ami François P. ? Ce n’est pas l’envie qui m’en manque depuis longtemps mais Paris, c’est loin tout de même, surtout vu du Luberon et plus encore par les temps qui courent, de surcroît pour un (non indispensable) cent kilomètres à vélo. Je dis donc à Laurent que je me donne la nuit pour réfléchir et lui donner ma réponse.


Jeudi 24 février 2022

Peu avant l’aube, Poutine n’a pas dit « les mots bleus, ceux qui rendent les gens heureux » (1). Il a plutôt (plus tôt) informé le monde du déclenchement d’une opération spéciale et les missiles pleuvent désormais sur l’Ukraine. C’est le retour des chars russes. « Larmes de paix » (3)… « Inquiet car au fond, je sais, le malheur de l’un ne fait le bonheur de personne » (…) « Un jour, l’injustice en personne fera tomber une larme » (3). J’ai donc dit « oui » à Laurent et demain, le vélo (et non pas le fusil) dans sa housse, je prendrai le train pour Paris.


Vendredi 25 février 2022

Lové au creux d’un confortable fauteuil de TGV, je jette un dernier regard à droite, vers le Ventoux, vers le Géant de Provence. Sur la vitre en verre feuilleté, un sticker « Laissez-vous rêver ». Comment rêver en ces heures sombres pour l’humanité ? Actualité oblige, le temps de cet Avignon-Paris, je devais lire à grande vitesse « Le Centaure de l’Arctique » (4) et puis finalement non, je le laisse au fond de mon sac à dos et regarde défiler à près de 300 km/h ces paysages de France qui sont à eux seuls tout un rêve.


Peu avant 7 heures au clocher de la Gare de Lyon, au pied des escaliers du Train Bleu, faute définitivement de mots bleus, je rechausse mon Origine de ses roues hautes. « HOUB’AA ! », après avoir traversé la Seine, je laisse sur ma droite le Jardin des Plantes et remonte en direction du Boulevard Arago puis du Lion de Belfort place Denfert-Rochereau. Viennent ensuite Alésia puis les Maréchaux et le XVème. Demain, alors que c’est l’Ukraine qu’on assassine (5), les prétendants à la Présidence de la République Française se presseront entre la Porte de la Plaine et la Porte de Versailles pour « taper le cul des vaches » au Salon de l’Agriculture…

Il est près de vingt et une heure quand nous montons dîner au Roof Top du Mama Shelter de l’avenue de la Porte de la Plaine. Ici, tout est calme et la ronde du faisceau lumineux au sommet de la Tour Eiffel n’a pas vocation de D.C.A..


Samedi 26 février 2022

Allez « on va faire un tour de vélo » comme le disait chaque matin, trente jours durant, les amis Denis M. et Eric W. lors de leur Born To Ride Tour 2021. L’idée arrêtée avec Laurent pour ce samedi cycliste est celle d’un CC 02 2022 « double dose », c’est-à-dire un PARIS-CHARTRES et le retour, non pas en train francilien mais à vélo, soit au final un « 200 ».


En route pour « Grande Cascade », on rencontre Porte d’Auteuil un cycliste du XVème (arrondissement), lui aussi en partance pour son « premier CC ». Portés par les ailes de Roland Garros, on atterrit sur l’anneau-tarmac de Longchamp. Les premières vagues de départ (celles des plus rapides) sont parties dès huit heures, toutes les quinze minutes à l’ordre du sympathique starter (Pierre) et à l’approche du départ des 23-25 km/h (à 09H00), il reste une bonne centaine de cyclistes en attente. Avec Laurent nous prenons l’initiative de poser quelques questions aux cyclistes autour de nous pour briser le silence de l’attente et tenter des approches de convivialité, de passionnés à défaut d’être des habitués des CC (c’est notre premier) pendant qu’un sympathique photographe (@Clément cangiano) capture, avec élégance et la distance que lui offre son téléobjectif, les portraits des cyclistes sur la grille des départs. Je salue comme il se doit le quatuor des Organisateurs et vient l’heure de l’appel. C’est donc en peloton d’une bonne quarantaine de cyclistes, filles et garçons réunis, que nous traversons la Seine pour rejoindre Suresnes puis nous élever vers Marne-La-Coquette et la Forêt de Fausses Reposes. À la sortie de Versailles, appareils en bandoulières, le quatuor d’organisation nous dépose dans la remontée vers Buc et Toussus-le-Noble. Plus loin, du côté de Châteaufort et Saint-Rémy-lès-Chevreuse, nous revisitons « nos plus belles années » (6), celles vécues à Fourcherolles (Dampierre-en-Yvelines) pour Laurent et à Châtenay-Malabry pour moi avec pour échappatoire et premiers émois d’adolescence, déjà, les routes et forêts de la Vallée de Chevreuse. Voilà trente ans que je n’y avais plus posé les roues d’un vélo de course. Au fil des kilomètres, on double des grappes de cyclistes, on s’arrête pour une photo ou un sandwich à Clairefontaine, on redouble, on papote trace avec le toujours très souriant et élégant porteur du maillot bleu William B., on (re)papote avec le trésorier de l’association des Classics Challenge, on s’extasie aussi des paysages en bon bordelais et cavaillonnais désormais et déjà ce sont les flèches de la cathédrale de Chartres qui s’élèvent au loin vers le bleu azur du ciel. La « map » de ce CC 02 2022 se révèle telle une émeraude sertie d’un diamant gothique. Merci pour le cadeau ! Dans les faubourgs de Chartres on photographie une ultime demeure de maître le long de l’Eure puis nous voilà au pied de l’arrière de la cathédrale. Vient alors un régal de final (pour moi en tous cas) par le très abrupt enchaînement pavés, façon Strade Bianche, des rues Saint-Eman et des Acacias avant le dernier virage (à gauche) pour basculer non pas sur la Piazza del Campo de Sienne mais sur la place de la Cathédrale Notre-Dame de Chartres. Laurent ne manque pas son arrivée et pousse bras tendus son Wilier Filante sur la ligne (que nous jugeons) d’arrivée devant le Café Bleu et les bicyclettes (bleues) d’autres Classics Challengers arrivés avant nous… Kilomètre 108 à l’écran des Garmin.


« Quand on arrive en ville » (7), on finit la trace en faisant le tour du vieux Chartres jusqu’à la Gare SNCF. Une map, cela se respecte. Quelques cyclistes s’en retournent déjà vers Paris, en train. Après avoir salué William, l’un de nos compagnons d’échappée du jour et dont l’avant du top tube de son vélo arbore l’identité soulignée du drapeau de La Réunion, nous retournons vers le parvis de la Cathédrale. À son approche, rue de l’Étroit Degré, Jean M. (8) nous regarde de là-haut. Résistance… Sans des hommes comme lui, que serions-nous devenus ? Nous pensons à Volodymyr Z., Président de l’Ukraine.


Au Café Bleu on pose les vélos vert et rouge contre les ganivelles, on contemple la cathédrale sauvée de la destruction le 16 août 1944 par le Colonel américain Welborn Griffith, on boit un Coca-Cola en son honneur tout en savourant un pain perdu et on passe un coup de fil à Thierry L.D., aka « Cambronne », en direct du Salon de l’Agriculture…


« Il est quatre heures au clocher de l’église » (1) quand nous reprenons la route, celle du retour vers Paris. On roule à deux, droit, au plus court ou presque, jusqu’à Rambouillet avant de bifurquer à gauche et de plonger dans la nuit noire des Vaux de Cernay, vers le Bois des Maréchaux, vers Léopold et « Nos plus belles années » (6)). À Dampierre, on s’arrête au Comptoir de Marie. Un Burger et une bière LA BARGE s’imposent, où l’occasion d’évoquer là encore des souvenirs de jeunesse et les origines corses de Laurent. Après le dîner, remise en jambes sans ménagement avec l’ascension de la côte des dix-sept Tournants puis l’enchaînement des bosses précédant Voisins-le-Bretonneux. Retour à Versailles que l’on quitte par la très royale Avenue de Paris en direction de Viroflay puis Chaville, Sèvres, Meudon et enfin Issy-les-Moulineaux. Il est 23H30 quand on se présente à l’entrée de l’Hôtel. Kilomètre 210 au Garmin, clap de fin. Il nous faut fendre la file d’attente au Roof Top du Mama Shelter à l’aide de nos vélos pour regagner notre chambre au 5ème étage.


Soigneusement appuyé sur le mur et débarrassé de sa sacoche de selle, le Scarlatto au trident de Laurent fait face au masque noir de Dark Vador. Mon Axxome aux couleurs de l’inachevé Cannes to London 2020 s’est endormi quant à lui « fenêtre sur cour » (9). Allongé chacun sur son lit, nous sélectionnons nos meilleures photos puis finalisons / publions notre activité du jour sur Strava. Pour moi, c’est « CC 02 2022 Double dose • PARIS-CHARTRES-PARIS ». Après la douche prise au son des kudos, on se retrouve au bar pour boire un verre, celui des compagnons de route. Autour du bar du rez-de-chaussée du Mama Shelter Paris West c’est ambiance « Lumières dans la nuit » (10) plutôt que « Route de nuit » (11).


Alors, face à une pinte d’IPA sur le comptoir et les « Magnolias for ever » (12) sur la platine du DJ, « je sais qu’à cette heure l’étoile du Berger s’étiole en effeuillant ses flocons pâle sur la prairie, juste avant la tombée de la nuit complète, bénédiction pour la terre, qui fait le noir sur les fleuves, pose sa chape sur les sommets de l’Ouest et borde la côte ultime et définitive, et personne, absolument personne ne sait ce qui va échoir à tel ou tel, sinon les guenilles de la vieillesse qui vient, moi je pense » (13) à l’Ukraine, « je pense même » (13) à tous ces ukrainiens sous les bombes, « je pense » (13) à toutes ces femmes, à tous ces hommes, à tous ces enfants en Ukraine et de par le monde, sur la route de l’exode.

« Je lui (leur) dirai tous les mots bleus, tous ceux qui rendent les gens heureux, tous les mots bleus, tous les mots bleus » (1)…

Photo : Clément Cangiano

@ClassicsChallenge

(1) Les mots bleus – une chanson de Christophe écrite par Jean-Michel Jarre – Album Les mots bleus (1974)

(2) Ma petite entreprise – une chanson d’Alain Bashung – Album Chatterton (1994)

(3) L’arme de paix – une chanson d’Oxmo Puccino – Album L’arme de paix (2009)

(4) Le Centaure de l’Arctique » - un livre d’Yves Gauthier – Éditions Transboréal (2020)

(5) C’est Mozart qu’on assassine – un livre de Gilbert Cesbron – Éditions Robert Laffont (1966)

(6) Nos plus belles années – une chanson de Grand Corps Malade chantée avec Kimberose – Album Mesdames (2020)

(7) Quand on arrive en ville – une chanson écrite par Luc Plamondon et composée par Michel Berger - Starmania (1978)

(8) Jean Moulin – Haut-fonctionnaire et héros de la Résistance (1899-1943)

(9) Fenêtre sur cour – un film d’Alfred Hitchcock (1954)

(10) Lumières dans la nuit – une émission d’Edouard Baer sur France Inter (2020)

(11) Route de nuit – une émission de France Inter jusqu’en 1973

(12) Magnolias for ever – une chanson de Claude François (1977)

(13) Sur la route – Appendice / extraits – un livre de Jack Kerouac (1957)

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1 Comment


philvic
Mar 09, 2022

merci Luc pour cette petite pause poético-cycliste grave et légère à la fois, prise en douce sur mon temps de mon travail...

salut amical de Quimper.

Philippe (1 étape de la BTR 2021 entre la pointe de l'Arcouest et la pointe du Raz, "tiré" par certains de mes fils...)

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